Théâtre : Différence entre versions
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+ | « Le théâtre à propos du théâtre » est une formule que j'utilise à l'excès, mais je crois qu'elle exprime bien ma pratique dramaturgique, qui puise dans les ressources du théâtre pour interroger le théâtral lui-même. Le théâtre, il faut bien le comprendre, opère ici comme métaphore de la vie ou du moins de certaines formes de vie (''vita contemplativa'', ''vita activa'', etc.). | ||
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== Contexte == | == Contexte == | ||
− | + | Mes pièces ont pour but d'interroger la possibilité même du théâtre. Pour ce faire, je suis très souvent obligé d'employer des allégories, voire des paraboles, des allusions et des métatextes, ce qui peut parfois conduire à l'expressionnisme le plus pur ? J'ai également été attiré par le minimalisme du geste théâtral, cette économie extrême qui permet de ne raconter avec un certain succès que les actions nécessaires à la narration d'une histoire, mais aussi par le maximalisme de l'effet et, parfois, du dispositif, l'utilisation excessive de masques ou de maquillages par les acteurs, la profusion de détails, qui servent tous à décontenancer constamment le public et à lui faire voir un monde de codes, de signes et de symboles, qui est en soi spectacle et idée du spectacle. ''Conversations ordinaires'' (2006- ) : rétroaction immédiate, lecture-acting. [[Aspertion|''Aspertion'']] (2007) ou ''Le verre d'eau'', improvisation performée devant le critique d'art [[Bernard Lamarche]] et plusieurs artistes. Cet épisode dramatique a été pensé comme performance artistique et comédie-dramatique en un acte. ''Montages et démontages'' (2008- ), un happening. ''Changements de décors'' (2009- ) : comme son nom l'indique, il s'agit d'une pièce constituée de changements de décor. Récemment, [[Prélude à l'après-midi d'une chaise|''Prélude à l'après-midi d'une chaise'']] (2022). C'est une radicalisation du théâtre brechtien. Ce qui m'intéresse, c'est de montrer l'entre-deux scènes, l'entre-deux théâtral, de jouer sur l'espace entre les choses, qui est un élément essentiel du théâtre : la substitution d'une scène à une autre. La scénographie. | |
− | == Cadre artistique == | + | == Cadre artistique et références théoriques == |
− | + | Samuel Beckett : j'ai certainement été influencé par le théâtre absurde. Bertolt Brecht : mais j'ai surtout été influencé par Bertolt Brecht. Cette influence est très visible dans mon travail. J'ai même cherché à appliquer les méthodes brechtiennes et ses théories à tous les domaines artistiques. En particulier celles concernant l'effet de distanciation. Son style épique, qui repose sur des changements, des glissements d'intonation, n'est pas nécessairement incompatible avec le théâtre dramatique. Jean-Pierre Ronfard : il fait aussi parti de mon cadre artistique. Jerzy Grotowski : « Le théâtre doit reconnaître ses propres limites. S'il ne peut pas être plus riche que le cinéma, qu'il soit pauvre. S'il ne peut être aussi prodigue que la télévision, qu'il soit ascétique. S'il ne peut être une attraction technique, qu'il renonce à toute technique. Il nous reste un acteur "saint" dans un théâtre pauvre. […] Il n'y a qu'un seul élément que le cinéma et la télévision ne peuvent voler au théâtre : c'est la proximité de l'organisme vivant. […] Il est donc nécessaire d'abolir la distance entre l'acteur et le public, en éliminant la scène, en détruisant toutes les frontières. Que les scènes les plus âpres se produisent en face à face avec le spectateur et que celui-ci soit à la portée de la main de l'acteur, qu'il sente sa respiration et sa sueur. Cela implique la nécessité d'un théâtre de chambre » (''Vers un théâtre pauvre''). | |
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== Problématique == | == Problématique == | ||
+ | Comment amener le public à reconnaître sa propre position, sa situation particulière, sa véritable condition, tout en maintenant une économie de moyen sur le plan de la création ? Cette question devient de plus en plus importante à mesure que le monde est dominé par une société d'images et de distractions, par l'excès spectaculaire, qui rendent la réalité de plus en plus difficile à digérer. Le public des spectateurs de théâtre a été largement éduqué par l'immense marché des produits culturels de l'industrie du divertissement et des dispositifs d'''ego-médiatisation''. Le public est habitué à être regardé, exposé, observé intensément, jugé, catégorisé, distillé en statistiques, distrait par des événements médiatiques qui deviennent de plus en plus sa seule réalité. Il faut sortir le public de son indifférence, de sa zone de confort, le faire sortir de la boîte dans laquelle il a été confiné, l'amener à réfléchir sur sa position, à ressentir le malaise, à être désorienté, déstabilisé, à reconnaître son dénuement. Chaque élément du décor, qu'il s'agisse de l'éclairage, de la manipulation des ombres, de la couleur, de la décoration, du costume et du masque, doit participer à cette désorientation, déstabilisation, tout en restant minimal et élégant, afin de rendre le spectacle tout à fait efficace et non excessif. L'économie de moyens concerne aussi l'écriture du scénario. Inévitablement, la question des moyens devient celle du contenu. Comment raconter une histoire complexe avec un minimum de moyens ? Cette question est au cœur de mon travail. Le problème du contenu est étroitement lié à celui du public. La fabrication de l'intrigue doit être plus que didactique, comme dans le théâtre épique - où le dramaturge enseigne au public à se repérer dans la pièce, ce public qui est tellement habitué à ce que tous ses sens soient stimulés sans cesse - mais transformatrice. L'intrigue est ainsi un processus d'éducation éthique et esthétique : le spectateur apprend à devenir actif, à s'engager politiquement. C'est pourquoi la fin de l'œuvre gagne à être ouverte comme dans une parabole. | ||
+ | Le public doit être capable de se reconnaître dans le message de la pièce, d'identifier sa propre condition. Mais comment créer un langage contemporain capable de conduire à cela ? | ||
== Approche == | == Approche == | ||
+ | Lorsque j'étais étudiant, je n'avais pas beaucoup de ressources à ma disposition, y compris le temps, l'expérience et la technique. Il m'était donc primordial d'employer des moyens aussi simples que possible, ne nécessitant pas beaucoup de technique et pouvant être employés par des non-spécialistes. J'ai ainsi développé une approche tantôt proche du théâtre pauvre tantôt du théâtre conceptuel. En utilisant pleinement l'ironie, en plaçant toujours le public dans une position de crise ontologique, en faisant en sorte que le public reconnaisse sa propre position de spectateur, en montrant la machinerie, en rendant l'apparence des acteurs dérangeante, en révélant le sous-texte, le spectateur peut mieux comprendre et mieux vivre le contexte qui l'entoure. Forme théâtrale qui met en avant l'activité de l'auteur. Mon théâtre est un métathéâtre, un théâtre sur le théâtre. Une autocritique. | ||
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+ | [[Aspertion|''Aspertion'']], [[Changements de décors|''Changements de décors'']], [[Choc ontologique]], [[Comique]], [[Cosmétique]], [[Didascalies|''Didascalies'']], [[Effet de distanciation]], [[Fait]], [[Foncteur parodique]], [[Jon Fosse|Fosse (Jon)]], [[Goût]], [[Prélude à l'après-midi d'une chaise|''Prélude à l'après-midi d'une chaise'']] | ||
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Version actuelle datée du 21 février 2023 à 12:18
Introduction
« Le théâtre à propos du théâtre » est une formule que j'utilise à l'excès, mais je crois qu'elle exprime bien ma pratique dramaturgique, qui puise dans les ressources du théâtre pour interroger le théâtral lui-même. Le théâtre, il faut bien le comprendre, opère ici comme métaphore de la vie ou du moins de certaines formes de vie (vita contemplativa, vita activa, etc.).
Contexte
Mes pièces ont pour but d'interroger la possibilité même du théâtre. Pour ce faire, je suis très souvent obligé d'employer des allégories, voire des paraboles, des allusions et des métatextes, ce qui peut parfois conduire à l'expressionnisme le plus pur ? J'ai également été attiré par le minimalisme du geste théâtral, cette économie extrême qui permet de ne raconter avec un certain succès que les actions nécessaires à la narration d'une histoire, mais aussi par le maximalisme de l'effet et, parfois, du dispositif, l'utilisation excessive de masques ou de maquillages par les acteurs, la profusion de détails, qui servent tous à décontenancer constamment le public et à lui faire voir un monde de codes, de signes et de symboles, qui est en soi spectacle et idée du spectacle. Conversations ordinaires (2006- ) : rétroaction immédiate, lecture-acting. Aspertion (2007) ou Le verre d'eau, improvisation performée devant le critique d'art Bernard Lamarche et plusieurs artistes. Cet épisode dramatique a été pensé comme performance artistique et comédie-dramatique en un acte. Montages et démontages (2008- ), un happening. Changements de décors (2009- ) : comme son nom l'indique, il s'agit d'une pièce constituée de changements de décor. Récemment, Prélude à l'après-midi d'une chaise (2022). C'est une radicalisation du théâtre brechtien. Ce qui m'intéresse, c'est de montrer l'entre-deux scènes, l'entre-deux théâtral, de jouer sur l'espace entre les choses, qui est un élément essentiel du théâtre : la substitution d'une scène à une autre. La scénographie.
Cadre artistique et références théoriques
Samuel Beckett : j'ai certainement été influencé par le théâtre absurde. Bertolt Brecht : mais j'ai surtout été influencé par Bertolt Brecht. Cette influence est très visible dans mon travail. J'ai même cherché à appliquer les méthodes brechtiennes et ses théories à tous les domaines artistiques. En particulier celles concernant l'effet de distanciation. Son style épique, qui repose sur des changements, des glissements d'intonation, n'est pas nécessairement incompatible avec le théâtre dramatique. Jean-Pierre Ronfard : il fait aussi parti de mon cadre artistique. Jerzy Grotowski : « Le théâtre doit reconnaître ses propres limites. S'il ne peut pas être plus riche que le cinéma, qu'il soit pauvre. S'il ne peut être aussi prodigue que la télévision, qu'il soit ascétique. S'il ne peut être une attraction technique, qu'il renonce à toute technique. Il nous reste un acteur "saint" dans un théâtre pauvre. […] Il n'y a qu'un seul élément que le cinéma et la télévision ne peuvent voler au théâtre : c'est la proximité de l'organisme vivant. […] Il est donc nécessaire d'abolir la distance entre l'acteur et le public, en éliminant la scène, en détruisant toutes les frontières. Que les scènes les plus âpres se produisent en face à face avec le spectateur et que celui-ci soit à la portée de la main de l'acteur, qu'il sente sa respiration et sa sueur. Cela implique la nécessité d'un théâtre de chambre » (Vers un théâtre pauvre).
Problématique
Comment amener le public à reconnaître sa propre position, sa situation particulière, sa véritable condition, tout en maintenant une économie de moyen sur le plan de la création ? Cette question devient de plus en plus importante à mesure que le monde est dominé par une société d'images et de distractions, par l'excès spectaculaire, qui rendent la réalité de plus en plus difficile à digérer. Le public des spectateurs de théâtre a été largement éduqué par l'immense marché des produits culturels de l'industrie du divertissement et des dispositifs d'ego-médiatisation. Le public est habitué à être regardé, exposé, observé intensément, jugé, catégorisé, distillé en statistiques, distrait par des événements médiatiques qui deviennent de plus en plus sa seule réalité. Il faut sortir le public de son indifférence, de sa zone de confort, le faire sortir de la boîte dans laquelle il a été confiné, l'amener à réfléchir sur sa position, à ressentir le malaise, à être désorienté, déstabilisé, à reconnaître son dénuement. Chaque élément du décor, qu'il s'agisse de l'éclairage, de la manipulation des ombres, de la couleur, de la décoration, du costume et du masque, doit participer à cette désorientation, déstabilisation, tout en restant minimal et élégant, afin de rendre le spectacle tout à fait efficace et non excessif. L'économie de moyens concerne aussi l'écriture du scénario. Inévitablement, la question des moyens devient celle du contenu. Comment raconter une histoire complexe avec un minimum de moyens ? Cette question est au cœur de mon travail. Le problème du contenu est étroitement lié à celui du public. La fabrication de l'intrigue doit être plus que didactique, comme dans le théâtre épique - où le dramaturge enseigne au public à se repérer dans la pièce, ce public qui est tellement habitué à ce que tous ses sens soient stimulés sans cesse - mais transformatrice. L'intrigue est ainsi un processus d'éducation éthique et esthétique : le spectateur apprend à devenir actif, à s'engager politiquement. C'est pourquoi la fin de l'œuvre gagne à être ouverte comme dans une parabole. Le public doit être capable de se reconnaître dans le message de la pièce, d'identifier sa propre condition. Mais comment créer un langage contemporain capable de conduire à cela ?
Approche
Lorsque j'étais étudiant, je n'avais pas beaucoup de ressources à ma disposition, y compris le temps, l'expérience et la technique. Il m'était donc primordial d'employer des moyens aussi simples que possible, ne nécessitant pas beaucoup de technique et pouvant être employés par des non-spécialistes. J'ai ainsi développé une approche tantôt proche du théâtre pauvre tantôt du théâtre conceptuel. En utilisant pleinement l'ironie, en plaçant toujours le public dans une position de crise ontologique, en faisant en sorte que le public reconnaisse sa propre position de spectateur, en montrant la machinerie, en rendant l'apparence des acteurs dérangeante, en révélant le sous-texte, le spectateur peut mieux comprendre et mieux vivre le contexte qui l'entoure. Forme théâtrale qui met en avant l'activité de l'auteur. Mon théâtre est un métathéâtre, un théâtre sur le théâtre. Une autocritique.
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Aspertion, Changements de décors, Choc ontologique, Comique, Cosmétique, Didascalies, Effet de distanciation, Fait, Foncteur parodique, Fosse (Jon), Goût, Prélude à l'après-midi d'une chaise