Affect
I. MUS. C'est d'abord en musique que la question de l'affect[1] se pose pour moi, en studio, au clavier.
II. SÉM. Dans mes compositions, la manière autocritique d'apparition des forces affectantes est un problème sémantique. Je cherche à maîtriser la rhétorique du détail à l'œuvre dans mon processus compositionnel[2].
III. ONT. Comme le percept est ce qui engendre de la perception, et le concept ce qui engendre de la conception, l'affect est ce qui engendre des affections. L'affect comme affectant.
IV. COMPO. Les signes musicaux, en tant que forces affectantes, apparaissent de manière à agir sur l'auditeur avec qui la rencontre a lieu. Ainsi, l'acte de composer est un acte de captation d'affects, tandis que l'œuvre musicale est une conservation d'affects.
V. MIM. L'affect devient une chose par la mimésis : nous pouvons donc le qualifier de chose-affect, comme aussi nous le qualifions explicitement de marche arrière. Cette activité nous soumet à un travail intentionnel, soit idée-travail, soit travail-idée.
VI. MUS. Pour Deleuze, les affects peuvent être créés par les artistes, en particulier les musiciens, et sont donc indépendants du sujet ; la musique est essentiellement une question d'affect. Gilles Deleuze dans L'Abécédaire explique que, de même que le philosophe rend pensables des forces impensables et que le peintre rend visibles des forces invisibles, le musicien rend audibles des forces inaudibles[3].
VII. SOMA. Le concept deleuzien d'affect renvoie à celui d’affectus de Spinoza... à la capacité à affecter et à être affecté. L'affect renvoie aux « modifications du corps par lesquelles la puissance active dudit corps est augmentée ou diminuée, aidée ou contrainte, et aussi les idées de cette modification » (Spinoza, 130). Étymologiquement, l'affect du latin affectus se distingue de l'affection du latin affectio. Le premier est une force affectante, tandis que le second est un état. Contrairement au sentiment, par exemple, l'affect renvoie à l'intensité de la transition d'un état du corps (fondé sur l'expérience) à un autre. Dans l'ordre de l'expérience, une telle transition entraîne, existentiellement, une croissance ou une décroissance du pouvoir corporel d'agir. C'est une modification qui ne me laisse pas indifférent. En conséquence, l'affect produit l'activité humaine et l'activité humaine produit l'affect. L'affect est donc un entre-deux, un passage, un portail.
VIII. POÉ. Contrairement à l'affection, l'affect a une capacité notable à être conservé[4]. Pour nous, l'accent est mis sur les affectants efficaces.
IX. ESTHÉ. « L'œuvre d'art est un être de sensation [...] les harmonies sont des affects. Consonnance et dissonance, harmonies de ton et ou de couleur, sont des affects de la musique et ou de la peinture. L'artiste crée des blocs de percepts et d'affects, mais la seule loi de la création est que le composé doit se suffire à lui-même... », affirme Deleuze. « Le style est purement auditif », dit-il. Le musicien est alors une sorte de traducteur en ce qu'il fait sonner ceci et cela qui agit sans être perceptible par l'oreille...
X. PEINT. Pour Deleuze, la peinture enregistre des forces invisibles afin de les rendre visibles.
XI. ERGO. Deleuze énormément brouillé les pistes, mais je pense pouvoir provisoirement dire que l'affect est une force affectante. Est-ce une manière de voir l'affect comme processus ? Pas nécessairement, enfin, pas au sens des partisans de la philosophie du processus.
XII. PSYCH. Il y a d'une part l'affect comme sentiment vécu et l'affect comme sentiment vécu transformé, objectivé dans l'œuvre d'art.
XIII. Il me semble que l'affect musical est aussi une capture.
XIV. Je me souviens d'une expérience esthétique que j'ai vécue un jour en écoutant deux morceaux de musique simultanément.
XV. L'art est compris par Deleuze comme « capture des forces ». On dira alors que l'affect est défini comme un message transportable, alors que l'affection est convertie en affect.
XVI. L'expérience de la sensation à travers une étude de l'acte de composer de la musique telle qu'elle est vécue donne de précieuses indications sur la nature de la musique.
XVII. « Si la simultanéité opère le plan des synthèses, le Rythme génère par lui-même l’expression organique du diagramme musical : l’harmonie réside dans cette simultanéité des coexistences ; elle met en évidence l’unité de l’œuvre. Le simultanéisme réalise l’un-tout d’un cosmos devenu acoustique, harmonie compossible des flux sonores[5] ». Comme l'explique John Raby, « le travail d’un philosophe et d’un artiste trouve son impulsion première dans une expérience du sublime[6]. »
XVIII. DRAMA. Chez plusieurs auteurs l'affect est produit par la mimésis. C'est ainsi qu'une tragédie parfaite « devrait... imiter les actions qui excitent la pitié et la crainte » affirme Aristote dans la Rhétorique (2.13).
XIX. CHORÉ. Pour Laban, l'émotion est l'origine du mouvement, du rythme, de la musique.
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Conception, naissance, maïeutique, maïeuticien, sage-femme, sage-homme, sage-humain
Notes et références
- ↑ L'affect est tantôt une subjectivité, tantôt une objectivité...
- ↑ Dans le romantisme, l'affect de l'expérience musicale est celui du sublime, de l'expérience de se sentir petit en présence d'une musique qui s'élève au-dessus de toutes les limites, qui tente de saisir l'infini.
- ↑ Gilles DELEUZE et Claire PARENET, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, produit et réalisé par Pierre-André Boutang, Paris, Éditions Montparnasse, 2004.
- ↑ L'affect diffère de l'affection. Quand Deleuze parle d'affection, il renvoie à l'affectio de Spinoza. L'affection est non pas la transition, mais l'état du corps, au sens le plus large du terme, affecté par un corps affectant. Le corps affecté et le corps affectant. Manière d'être affecté, positive ou négative. L'admiration passionnée est une affection positive, tandis que la répugnance, l'horreur, l'ennui ou même la haine sont considérés comme des affections négatives. Être porté vers. Attitude de respect de l'autre, de responsabilité envers l'autre et de don à l'autre. Il est clair que celui qui aime est une personne responsable, car il assume un certain degré de risque pour l'autre. Celui qui aime et celui qui est aimé sont donc équivalents à cet égard. Il s'ensuit que celui qui aime est une personne morale, car il assume un sens du risque et donc du sens morale. C'est pourquoi l'affection doit être régénérée. Aimer, c'est communiquer, et à travers cette communication, on accepte l'existence et on aime l'autre. Celui qui aime existe, et l'existence elle-même est acceptée, en d'autres termes : l'affection est un acte ontologique. Elle s'exprime souvent sous forme de sentiment chaleureux d'attachement, de proximité ou de tendresse envers quelqu'un ou quelque chose. Pour Spinoza, le mode se définit comme l'affection d'une substance.
- ↑ Richard PINHAS, Les Larmes de Nietzsche. Deleuze et la musique, préface de Maurice G. Dantec, Paris, Flammarion, 2001.
- ↑ John RABY, Gilles Deleuze : musique, philosophie et devenir, 2015, p. 37.